M. Estrosi en provoquant les indépendantistes rallume le feu en Nouvelle-Calédonie…
Cette information a été traitée très discrètement par le monopole de presse, et pour cause… Mais les Niçois qui ont entendu cette nouvelle à la radio tôt le matin se sont jetés sur les quotidiens nationaux pour être informés des exploits en Kanakie de celui qui brigue la mairie de Nice. Le Monde s’est arraché car la conduite va-t-en guerre de l’intéressé peut préfigurer ce qui se passera à Nice s’il était élu. Et ce n’est pas réjouissant.
Dès son arrivée en Nouvelle-Calédonie, le motocrate donnait le ton : “des technocrates m’ont abondamment prévenu : attention, la Nouvelle-Calédonie est un territoire compliqué, susceptible [...] Non, j’ai décidé de vous parler vrai…” “L’émissaire de la rupture et du changement” n’a pas craint de déclarer que “l’avenir de la Nouvelle-Calédonie était dans la France”, dans un territoire qui va accéder bientôt à l’indépendance après une lutte sanglante.
Le bilan de la visite de ce grand diplomate en Nouvelle-Calédonie est édifiant : en quelques jours, son intransigeance arrogante a réussi à faire voler en éclats le consensus difficilement établi et maintenu entre Kanaks et Européens après les graves évènements que l’on sait. Ce n’est plus une visite officielle, c’est un typhon : Le Monde indique : “M. Michel Mathieu, haut-commissaire de ce territoire, a demandé au président de la République d’être relevé de ses fonctions, le FLNKS accuse M. Estrosi d’avoir ouvert une crise politique grave, et les divisions de la droite son ravivées”. La visite s’est déroulée dans un climat social houleux, avec manifestations et blocage d’entreprises. Le haut-commissaire français qui agissait d’une manière mesurée aurait subi à plusieurs reprises l’ire de M. Estrosi, lequel lui aurait vertement reproché “son manque de fermeté” sa “passivité” et “son absence du terrain” ; ces critiques acerbes auraient conduit ce haut fonctionnaire, homme prudent et compétent, à présenter sa démission à Paris. Le point d’orgue de ce désaccord sur les “méthodes” à adopter avec les Kanaks se serait situé le vendredi soir, après les échauffourées de l’après-midi, au moment ou un cocktail se déroulait au haut-commissariat : le haut-commissaire aurait refusé de faire dégager manu militari les manifestants de L’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités) qui s’étaient installés devant le haut-commissariat avec musique et barbecue, alors que se déroulait le cocktail officiel.
M. Estrosi a déchaîné la tempête par des propos provocants dans ce territoire qui va voter dans quelques années pour décider de l’accession à l’indépendance, après les luttes de libération que l’on sait : “L’Etat a un rôle fondamental à jouer, il ne s’agit pas d’un état qui considérerait “l’impartialité” com-me un paravent pour “justifier l’inaction” ajoutant que désormais “plus aucun blocage d’entreprise ne serait toléré”. M. Estrosi a également déclaré que les accords de Nouméa “seraient respectés” et que la France serait “un accompagnateur loyal” ; mais, curieusement il a prétendu que la récente élection présidentielle dans le territoire (M. Sarkozy obtenu 62,89 % des suffrages exprimés) “était déjà comme une petite part du référendum sur l’indépendance” qui doit avoir lieu entre 2008 et 2014. Celui qu’à Nice certain surnomment “bac moins cinq” s’arrangeait un peu avec les chiffres car il y a eu 34 % d’abstention, blanc ou nul et le score du président ne représente en fait que 41, 59 % du corps électoral.
Le Monde indique que “Le ton conquérant” et les déclarations de M. Estrosi ont rallumé des plaies non encore cicatrisées et Le FLNKS a déclaré “qu’il s’agissait d’un retour en arrière et que les accords de Nouméa étaient un processus de décolonisation, alors que le ministre réclamait plus d’Etat et plus de France…” Le FLNKS accuse M. Estrosi “d’avoir ouvert une crise politique”. Le Monde ajoute : “à droite, la visite de M. Estrosi pourrait bien sonner le glas du tout récent accord de majorité, signé sous la pression du gouvernement, entre les frères ennemis du Rassemblement-UMP et de l’Avenir ensemble. “Il faut que l’Avenir ensemble fasse entendre sa différence avec le Rassemblement-UMP et M. Estrosi”, a préconisé M. Didier Leroux, l’un des chefs de file de ce parti, inquiet d’une dérive politique de provocation des indépendantistes”. Cerise sur le “caillou”, M. Estrosi, qui veut régner à Nice, mais ignore apparemment que l’exactitude est la politesse des rois, a fait attendre trois heures un aréopage d’industriels et de scientifiques au Haut-commissariat… pendant que les mines s’allongeaient, il faisait, selon ce même journal “une très médiatique plongée sous-marine”…
Rappelons que ce pays très touristique est très riche en nickel. L’amiral Febvrier-Despointes “prit possession” de la Nouvelle-Calédonie en 1853, sans droits ni titres sauf ceux que lui conféraient ses canons, sur l’ordre de Louis Napoléon Bonaparte ; celui qui devint Napoléon le Petit y installa un bagne en 1864 où croupirent beaucoup d’opposants au régime ; 5 000 communards et Louise Michel y furent ensuite déportés par la IIIe République et le bagne fonctionna jusqu’en 1897. Plusieurs révoltes des Kanaks, à diverses époques furent écrasées sans pitié. Le récent soulèvement indépendantiste eut plus de succès et déboucha sur l’accord de Nouméa ; en 1999 une citoyenneté calédonienne fut instituée ; les lois sont votées par le Congrès du territoire (et soumises au Conseil constitutionnel). En 2014 au plus tard, les électeurs résidents depuis 20 ans seront consultés sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté.
Il est plus que déplacé que M. Estrosi, qui semble s’être trompé d’époque, soit venu chanter son couplet sur les “valeurs de la république” et sur “la noblesse de la république qui fait une place à chacun y compris à ceux qui contestent son essence même” (autrement dit : Nous somme généreux, nous voulons bien vous tolérer chez vous… Le même discours que l’on tenait aux Niçois après l’annexion de 1860 !) devant un peuple qui a été colonisé de force, qui s’est révolté maintes fois (en 1878 la révolte du chef Ataï a été noyée dans le sang) et qui n’a obtenu la promesse de sa liberté qu’en versant encore son sang pour la liberté. A Nice, annexée illégalement sept ans après la Nouvelle-Calédonie et par le même individu, les “valeurs de la république” dont parlait M. Estrosi, avaient déjà été illustrées par les exactions que l’on connaît, pendant l’occupation révolutionnaire (vols, pillages, carte de pain, conscription forcée, “em-prunts” obligatoires, résistants fusillés, torturés et même cloués sur les portes comme le Barbet Lalin, lois racistes et immorales) ; en 1871 la république nous dépêcha 10 000 fusiliers marins, l’artillerie et la cavalerie pour confisquer le vote indépendantiste du 8 février… Depuis tous ces bienfaits, les vrais Niçois n’adorent ni la déesse tour Effel, ni les dieux élyséens ; et si M. Estrosi veut s’installer à la mairie de Nice, pour répéter ici le même discours que celui tenu aux Kanaks et tenter de détruire l’identité niçoise, au moment où elle est en pleine renaissance et où la jeunesse la revendique hautement, sa voix risque d’être couverte par un concert de casseroles et il peut s’attendre à une réaction appropriée.
M. Estrosi s’est trompé d’époque, il ne doit pas savoir que l’on est plus au temps de la politique des canonnières.
Les Nouvelles Niçoises, Novembre 2007
Drapeau Kanak